Temporaire ou pas, on assiste en tout cas à une grande lessive dans les allégations de santé des produits de grande consommation, en particulier alimentaires. Cette réduction est évidemment liée aux contraintes juridiques et règlementaires mises en place depuis quelques années.
Un des exemples les plus emblématiques : Actimel® qui, retoqué par l’EFSA, a abandonné toute référence explicite à un effet bénéfique sur la santé. [Edit du 19/05/12: Pour ceux que cela intéresse, vous pouvez retrouver la liste des allégations santé approuvées par l’UE ici]
Dans le même temps, nombre de produits mettent désormais en avant ce que l’agence Nutrikéo Consulting appelle des allégations émotionnelles®. C’est-à-dire “des messages suscitant l’émotion chez les consommateurs, en substituant l’allégation de santé, expression d’une fonction physiologique ou métabolique, par un sentiment ou un état d’esprit évocateur du bénéfice produit.”
Je vous invite en particulier à regarder ce que fait Kusmi Tea avec sa gamme de thés bien-être.
Evidemment, comme le souligne Nutrikéo Consulting, les deux sont liés, car faire du marketing signifie souvent jouer avec les contraintes, en particulier juridiques et réglementaires.
Ces nouvelles allégations sont une réponse très astucieuse pour s’évader du cadre.
Mais si l’on prend un peu de recul, je pense que certaines tendances de fond auraient de toute façon poussé tôt ou tard les marques à revoir leur copie pour éviter certains périls.
Finalement, ces nouvelles règles n’ont peut être fait qu’accélérer les choses.
On observe en effet à mon sens :
1) une méfiance grandissante à l’égard d’une certaine médecine scientifique (pharmaceutique) et de ses médicaments. La série d’informations alarmistes sur les “médicaments dangereux” qui a culminé avec l’affaire du Mediator a créé la suspicion, voire la peur. Pendant longtemps, les aliments ont voulu, avec les allégations-santé, singer les médicaments, au point de devenir des “alicaments“.
Mais quand les médicaments eux-mêmes sont suspects, n’est-il pas temps d’arrêter de vouloir les imiter ?
2) un discours trop technique devenu souvent incompréhensible. A force de vouloir imiter la médecine, certains packs en sont devenus difficile à comprendre. Certains termes semblant issus des laboratoires ont fini par rebuter et les consommateurs sont donc de plus en plus sceptiques sur les allégations-santé.
3) une médecine dont le discours passe de la simple guérison du corps à l’harmonie entre corps et esprit. Les médecins les plus médiatiques sont de moins en moins des “techniciens” et de plus en plus, il me semble, ceux qui font le lien entre corps et esprit. Voir par exemple : le pionnier David Servan-Schreiber décédé en 2011 ou Thierry Janssen.
Pas étonnant que les produits de grande consommation privilégient désormais un bénéfice global de “bien-être”, quand c’est la médecine elle-même qui semble privilégier cette approche.
4) un retour de la magie, du chamane, de l’homme-médecine ?
Au final, et c’est peut être l’effet paradoxal d’une règlementation qui voulait faire la part belle au rationnel et au “prouvé scientifiquement” , le retour de la magie (voir le chapitre 3 du livre La Société Mosaïque de Jolanta Bak) et d’une certaine forme d’irrationnel dans notre société permettent peut-être d’accepter plus facilement ces produits de grande consommation aux bénéfices plus émotionnels que rationnels. Et dont les “reason-to-believe” sont assez… évanescentes.
De même que les médecins redeviennent chamans ou hommes-médecine, les aliments (re)deviennent magiques et enchantements (“alichantements“, “alichamans” ?).
Place à l’ “enchanted food.”
[Pour prolonger cet article et c’est forcément significatif d’un certain “air du temps”, je vous signale l’expo sur les chamanes au Musée du Quai Branly, jusqu’au 29/07/2012 : “Les maîtres du désordre“.]