En ces temps passionnants où les candidats se disputent les parts du marché électoral, il me paraît intéressant de revenir sur un événement politique récent et de le regarder avec la grille d’analyse des concepts du management des marques.
Souvenons-nous…
En janvier 2011, le Front National doit choisir son président pour succéder à Jean-Marie Le Pen.
En lice, Bruno Gollnisch et Marine Le Pen. Au terme d’une campagne interne, celle-ci l’emporta.
Décision finalement très logique d’un point de vue marketing.
Quels étaient en effet l’enjeu et l’alternative ?
Pour se relancer et trouver des relais de croissance électoraux après le succès de 2002 mais des élections suivantes plus décevantes, le Front National avait le choix entre lancer une nouvelle marque, à la faible notoriété initiale au-delà du cercle des addicts de la marque mère (ou père en l’occurrence), ou une extension de la marque “Le Pen“ .
Dans ce cas comme dans d’autres, l’extension de marque “est un outil aux multiples avantages, liés aux économies de coûts de lancement de produit, grâce à une notoriété déjà avérée. Le nouveau produit bénéficie de l’engouement du cœur de cible de la marque, capitalise sur l’image de marque,…” (G. Lewi et al., Branding Management 2° ed. p.318).
La marque “Le Pen” véhicule en tant que telle une certaine identité, une certaine image, un certain positionnement qui bénéficie d’office à la marque-fille. Interrogée, celle-ci n’hésite d’ailleurs pas à expliciter ce positionnement tel qu’elle le souhaite : “Je crois que le nom de Le Pen incarne la lutte contre l’immigration, la lutte contre l’insécurité […] et la défense de la Nation.”
L’extension de cette marque avec le prénom “Marine” a donc été jugée comme l’option la plus efficace pour essayer de la rajeunir et tenter de se développer sur de nouvelles cibles : les jeunes et les femmes.
Pour reprendre les termes de David A. Aaker dans Building Strong Brands : dans la nouvelle marque “Marine Le Pen” , “Marine” est la driver brand, celle qui décide au final le consommateur à acheter (c’est “Sensor” dans “Gillette Sensor” ) et “Le Pen” est l’endorser brand, celle qui apporte sa crédibilité aux qualités de la driver brand (c’est “Gillette” dans “Gillette Sensor” ).
Cette campagne et son déroulé peuvent également très bien s’analyser comme la tentative de réussir cette extension en écartant les risques qui lui sont liés, comme dans toute extension de marque.
Premier risque potentiel d’une extension de marque : cannibaliser les produits initiaux de la marque.
Ici, le risque est accepté : le produit initial se retirant du marché.
Deuxième risque : l’absence de différentiation.
Troisième risque : la dilution de l’image de marque.
Tout au long de cette campagne, il me semble que Marine Le Pen a sans cesse oscillé entre la volonté de se différencier de son père (stratégie de conquête de nouveaux segments), en particulier au départ, et celle de réaffirmer sur la fin les fondamentaux de la marque (stratégie de fidélisation).
Les résultats finaux et les analyses des votes (électeurs gagnés / perdus par rapport à 2002 et 2007) permettront de savoir si les deux stratégies ont pu fonctionner en même temps.
Il semble en tout cas que cela n’a pas été facile.
Car tout compte fait, c’est le retrait du produit initial qui pose problème. Dans une extension classique, les consommateurs peuvent toujours acheter leur marque préférée.
Ici, ce n’est pas une extension, c’est une transmission…
“Marine Le Pen” , c’est “New Coke” . On retire la recette initiale et on la remplace par une nouvelle…
Sur un plan plus gastronomique mais tout aussi familial, je vous renvoie également aux problématiques d’héritage et de transmission dans la grande cuisine.
Le film “Entre les Bras – la cuisine en héritage” , récemment sorti, nous montre comment Sébastien Bras, en reprenant le restaurant familial, doit trouver ses marques, assumer son nom, tout en se distinguant de son père Michel.
Je laisse la conclusion au journaliste du Monde J.-P. Géné : “c’est le problème des « fils de », en gastronomie comme ailleurs : se faire un prénom.”