LSA vient de faire paraître un article très intéressant sur les impacts du premier confinement sur le merchandising dans les magasins. Après une focalisation initiale bien compréhensible (car vitale) des équipes sur la limitation des ruptures et la clarté des rayons, la bonne nouvelle c’était que plusieurs projets catégoriels reportés étaient en route. Reste à savoir ce qu’il en adviendra avec le nouveau confinement.
Il me semble par contre qu’on parle toujours aussi peu du e-merchandising, c’est-à-dire de la manière de présenter les produits sur les sites de e-commerce. Or, cette question me paraît de plus en plus importante. Elle concerne les drives (donc la grande distribution), les sites spécialistes du e-commerce, mais aussi tous les petits commerces de proximité qui vont se lancer dans le commerce en ligne à cause de la fermeture des points de vente physiques.
La pandémie accélère en effet les ventes digitales. Budgetbox vient de réaliser une étude (relayée par Olivier Dauvers), qui indique que 50% des français sont désormais omnicanaux pour leurs courses du quotidien et que ceux-là dépensent 31% du budget de ces courses en e-commerce. À ce niveau-là de dépenses, le merchandising digital devient aussi critique que celui en magasins physiques.
Amazon et les autres GAFAM ou Géants du Web dépensent beaucoup d’argent en R&D. Une partie de ce budget sert à améliorer leurs sites et leurs algorithmes. En observant ce qu’ils font, on peut mettre en place, même avec beaucoup moins d’investissements, quelques idées pour mieux travailler les produits sur les sites.
Évidemment, certaines de ces idées sont plutôt adaptées aux drives, mais beaucoup sont tout à fait adaptables à d’autres sites de e-commerce, en particulier ceux de PME, de start-ups ou de magasins de proximité qui vendent leurs produits directement aux consommateurs.
Je serais ravi de les accompagner sur ces sujets.
Je veux d’abord pointer une différence. Autant le merchandising du commerce physique impacte fortement les ruptures vues par le consommateur (il vaut mieux mettre plus de stock sur les tablettes pour un produit à forte rotation) ; autant la manière de présenter les produits sur un site impacte moins les ruptures. Celles-ci y sont plus une question de back-office.
Quel est mon point de vue ?
Les sites (drives en particulier) transposent encore trop la structure du magasin physique (rayons, etc) et n’utilisent pas assez les ressources et les possibilités que le digital met à leur disposition. Il suffit pourtant de faire un peu de benchmarking en regardant chez les experts du e-commerce pour trouver des idées facilement transposables qui augmenteraient les ventes, amélioreraient l’expérience-client et créeraient de la différenciation pour ceux qui seraient des pionniers dans leur utilisation. Certaines choses sont déjà très bien faites, mais on peut aller encore plus loin. Voici donc quelques pistes.
Idée 1 / Créer d’autres organisations des produits que reproduire celle du carrelage : vers des univers digitaux
Aujourd’hui, la navigation des drives reproduit le magasin. On y retrouve les mêmes rayons (y compris le bio), avec en plus des zones virtuelles où sont regroupées les promos (également présentes dans le rayon d’origine). On y parle même de «TG virtuelle» (les produits mis en début de liste). Il y a bien un peu de cross-merchandising, mais encore limité et ce sont souvent des actions publi-promotionnelles payées par les marques.
Pourquoi ne pas profiter de la souplesse du digital pour créer des clés d’entrée multiples en s’adaptant aux modes de vie et de consommation ? Les univers ont du mal à fonctionner en magasins, mais restent pertinents. Pourquoi ne pas les réaliser en digital ? Par exemple regrouper ensemble tous les produits liés au petit déjeuner (café, jus de fruits, pâtisserie industrielle, produits à tartiner), tous les produits pour le bébé (alimentation, hygiène, textile), etc. D’autre part, pourquoi ne pas rendre encore plus systématique le cross-merchandising ? Après tout, les distributeurs peuvent analyser parfaitement les produits achetés simultanément et pousser les produits complémentaires aux consommateurs dès qu’un des produits est mis au panier.
Idée 2/ Organiser des regroupements ponctuels (“plastiques“) adaptés aux consommateurs
Au-delà d’une organisation fixe des produits, on peut imaginer des regroupements temporaires en fonction de différentes clés d’entrée :
- des recettes. La start-up Jow le fait déjà très bien. Vous sélectionnez une recette et les ingrédients nécessaires pour la réaliser s’ajoutent à votre panier. Mais cela se passe en dehors des sites eux-mêmes. Pourquoi une enseigne n’intègre-t-elle pas ce service directement sur son site ?
- des produits proposés en fonction de votre historique d’achats ou de votre navigation sur le site. Là encore, toute la data est à la disposition des enseignes. Il y a certainement plein d’enseignements à tirer de cet historique pour proposer une page d’accueil personnalisée à chaque client, avec des recommandations adaptées comme savent le faire Amazon (Rubriques “Inspirés par les tendances générales de vos achats” ou “En lien avec des articles que vous avez regardés“) ou Apple Music (Rubrique “Pour vous“).
- du moment de la vie du client où les achats sont réalisés. Courses pour la semaine ou pour le week-end ? Courses pour un repas entre amis ou pour les fêtes ? Courses pendant les vacances ou pour la rentrée ? Là encore, en fonction de la date et d’un choix du client, les produits présentés en priorité peuvent s’adapter facilement.
Idée 3/ Mettre en avant certains produits en fonction de critères définis par le consommateur
Apple Music vous propose des sélections de morceaux en fonction de vos goûts musicaux. On peut très bien imaginer les mêmes options pour le e-commerce. C’est d’ailleurs là-dessus que les enseignes me paraissent avoir le plus avancé. Par exemple, on pourrait faire varier les produits proposés en fonction :
- de leurs valeurs nutritionnelles et d’objectifs définis par le client. Carrefour est le plus en pointe sur ce sujet me semble-t-il. L’enseigne permet d’une part de sélectionner les produits en fonction de leur Nutriscore et a mis en place depuis peu un partenariat avec la startup Innit (vous trouverez un article d’Olivier Dauvers très complet sur ce sujet ici) pour donner un score à chaque produit en fonction des objectifs du client (bientôt mis en place également par Intermarché). D’autres données, telles que celles de Yuka, Siga ou OpenFoodFacts pourraient être utiles pour les clients des drives.
- de leurs ingrédients ou caractéristiques (format, etc.). Là encore, c’est une question de profilage. Soit c’est le client qui renseigne ses critères. Soit ils sont déduits de son historique d’achats. Dans les deux cas, les produits qui lui sont présentés seront adaptés. Comme sur Apple Music où l’on a peu de chance d’être exposé à de la musique classique si l’on n’achète que du metal. On peut aussi imaginer des tris sur l’origine des ingrédients (présenter uniquement les produits d’origine France, etc.)
Idée 4/ Mettre en avant les best-sellers ou les produits les mieux notés
C’est certainement un tabou du côté des distributeurs et du côté des marques, mais Apple Music (rien de neuf depuis le TOP50) et Amazon n’hésitent pas à mettre en avant les produits les plus vendus ou les mieux notés d’une catégorie. On va laisser de côté un instant le débat sur la crédibilité des notes pour se demander si les mêmes types de classements ne seraient pas pertinents pour la grande consommation. En ce qui concerne le classement des ventes, cela n’a jamais en effet empêché les autres chansons ou livres de se vendre (selon le fameux modèle de la longue traîne). Donc, je ne suis pas sûr qu’appliquer ce classement dans chaque catégorie sur les drives favoriserait le leader au détriment des autres alternatives (surtout si en parallèle les idées du point 3 sont mises en oeuvre). Par rapport aux magasins, l’exposition des produits des challengers en seraient même parfois améliorée, car celle-ci est souvent fonction de la taille de la force de vente (les leaders sont souvent plus exposés que leur part de marché réelle).
En ce qui concerne les notes, que ce soient celles de consommateurs ou d’organismes extérieurs, c’est un service additionnel apporté aux clients qui est déjà visible sur certains sites (mais sans que les produits soient classés en fonction de ces critères). Cela permettrait parfois à des produits très appréciés initialement par une niche d’avoir leur chance de toucher une population plus large.
Idée 5/ Rendre les innovations plus visibles
Beaucoup d’innovations en grande consommation sont découvertes en magasins, soit par pure sérendipité, soit par des mises en avant spécifiques (stop-rayons, TG, animations, etc.) Il me semble qu’il y a encore du travail à faire sur les sites des drives pour faciliter l’émergence des nouveaux produits. La simple existence d’une rubrique “Nouveautés” ne suffit pas à mon sens, sauf pour les accrocs de l’innovation (les équipes marketing ?). C’est directement sur la page d’accueil ou dans les rayons que le travail doit se faire. Là encore, Apple Music nous présente de manière transversale à tous les styles musicaux les nouveautés et Amazon a également des mises en avant des nouveautés dans chaque rubrique et sur la page d’accueil. On connaît l’intérêt des innovations pour le dynamisme des marchés et la différenciation entre enseignes. Raison de plus pour bien les travailler.
Idée 6/ Associer des produits à des contenus
Apple Music crée régulièrement des mixes ou recommande des choix de morceaux. À la fois dans les emails envoyés aux abonnés et sur le site lui-même. Les radios Apple Music sont également des services mis en avant pour développer les abonnements. À l’inverse, les newsletters des drives se contentent trop souvent de mettre en avant les promotions. Alors que des contenus enrichis et adaptés aux profils des clients envoyés par mail ou présentés sur les sites pourraient développer les ventes au travers de regroupements de produits complémentaires. Recettes liées à la saison (avec une mise au panier simplifiée), produits liés à une actualité, à une thématique (nutritionnelle par exemple, comme «comment faire un petit déjeuner équilibré ?») : voici quelques unes des idées qui pourraient servir à proposer aux clients des produits liés à un contenu différenciant pour l’enseigne. Pourquoi ne pas créer également une webradio ou TV qui pousserait des contenus (sous forme de podcasts ou en direct) liés à des thématiques autour de l’alimentation (recettes, conseils, etc.) et mettrait en avant des produits ?
Idée 7/ Faciliter le choix sur des catégories complexes
Enfin, on connaît l’impact de la recommandation d’un vendeur sur le choix d’un produit. Or, en surfant sur un site internet, on est souvent démuni pour choisir lorsqu’il s’agit d’un produit un tant soit peu impliquant (vin, foie gras, voire les produits culturels, etc.) Là encore, des outils existent pour mettre en place des conseillers virtuels avec des arborescences de questions adaptées au produit et à ses critères d’achat. Et pour le coup, ce sont plutôt des choses qui n’existent pas (encore) chez Amazon. Une start-up française, noci, propose par exemple la création d’un bot permettant justement d’enchaîner questions et réponses pour aboutir à la recommandation produit la mieux adaptée. Une manière efficace d’offrir un meilleur service aux clients et de se distinguer des concurrents pour ceux qui adoptent cette solution.
En conclusion
J’ai conscience de balayer large dans cet article, au risque de proposer une liste à la Prévert. C’est en tout cas parce qu’il me semble que beaucoup d’outils et d’idées ne sont pas encore suffisamment mis en place sur les drives et les sites d’e-commerce, alors que les GAFAM en sont déjà des experts.
À l’heure où l’on parle de se défendre contre ces mastodontes, je gage que c’est une manière limitée mais agile de lutter contre ces géants. Il s’agit d’utiliser sa connaissance des clients et de leurs manières de consommer plutôt que dépenser des milliards en R&D. Carrefour me paraît être une des enseignes les plus innovantes actuellement en e-commerce, il est probable qu’une partie de leurs bons résultats depuis début 2020 est liée à cela.
Ce que vous pouvez en retenir pour votre marque ou votre commerce
C’est vous l’expert du comportement de votre client : quels sont ses critères d’achat ? quels produits achète-il simultanément ? quels produits sont les plus adaptés en fonction de ce que vous connaissez de lui et de ses besoins à ce moment donné ? etc. Tout ceci peut être obtenu via des analyses de data, mais un petit commerce de proximité a déjà une masse d’intelligence issue de son observation et de son sens du commerce qui peut lui servir à se distinguer et à faire mieux qu’une IA basée à Seattle.
En fonction de tout cela, vous pouvez piocher dans certaines de ces idées (et il y en a d’autres) pour enrichir votre site de commerce en ligne et vous distinguer de la concurrence.